Retour à Reims [Fragments]

 

Le cinéaste Jean-Gabriel Périot revient dans les salles pour son quatrième long-métrage. À travers le texte de Didier Eribon interprété par Adèle Haenel, Retour à Reims [Fragments] raconte une histoire « intime et politique » de la classe ouvrière en France du début des années 1950 à aujourd'hui.

Périot est un grand monteur. Après avoir puisé dans les archives, c'est lui- même qui en assure le montage. Une des grandes qualités de son travail réside dans la confrontation des images entre elles. Images des médias de l'époque, témoignages d'ouvriers, extraits de films tirés de l'histoire du cinéma, mais aussi des images de Reims d'aujourd'hui.

C'est la juxtaposition des images qui produit un choc. Ainsi, on est frappé par l’enchaînement d'un discours de Georges Marchais (Parti communiste français) à propos de l'immigration avec un autre de Jean-Marie Le Pen (Front national). La rhétorique est presque la même : il y a trop d'immigration, il y a trop de chômage. Marchais ose affirmer : « Il faut stopper l'immigration clandestine et officielle (..), il est inadmissible de laisser entrer de nouveaux travailleurs immigrés en France alors que notre pays compte près de deux millions de chômeurs français et immigrés » (9 janvier 1981, Antenne 2).

Cela montre bien à quel point les dirigeants du PCF se sont éloignés d'une perspective ouvrière indépendante qui considère qu'il n'y a qu'une seule classe ouvrière internationale. En revanche, cela ne prouve pas que l'écroulement du PCF dans les élections aurait profité au FN. L'analyse du scrutin montre que des voix de droite sont passées à l'extrême droite et que des voix « de gauche » sont passées à l'abstention.

Le film a le mérite de réhabiliter un langage dont certains ont l'habitude de dire qu'il est désuet. Au contraire, ici, on a plutôt l'impression que les manifestations, les grèves, les ouvrières et les ouvriers, les bourgeois et les bourgeoises, mais aussi le chant de L'Internationale font partie d'un décor « normal ».

Pour l'aspect « intime » de cette histoire de la classe ouvrière, Périot épouse la cause des ouvriers en s'intéressant à leur vie quotidienne. Poignant témoignage du père de famille qui affirme qu'il a du mal à changer les couches de sa fille après une journée passée à travailler à la chaîne ou de celui qui n'a plus que la pêche pour bénéficier d'un peu de silence afin de « récupérer » son cerveau.

Mais touchant aussi, l'enfant de dix ans qui nous livre sa vision du monde idéal avec une impressionnante maturité politique (qui associe emploi avec nature).

Cette énergie des désirs et des espoirs traverse le film, les compositions rock de Michel Cloup la transcrivent bien. Malgré les coups et les défaites, elle prépare un soulèvement.

 

Simon Hérengt
La Tribune des travailleurs
Avril 2022